CHAPITRE XVIII
A LA SERINGUE !
J’ouvre la porte de la cuisine qui est juste à côté de celle de la porte d’entrée.
La voix de Grane retentit :
— San-Antonio ! C’est moi, Grane. Vous êtes là ?
« Vas-y, bonhomme, me dis-je, ça se passera bien si tu es à la hauteur. »
Je chipe une écumoire à long manche.
— Oui, dis-je, en prenant bien soin de rester dans la cuisine. Oui, je suis là.
— Ouvrez vite !
Je tapote la porte avec l’écumoire, toujours depuis la cuisine.
— Que voulez-vous ? demandé-je.
— Ouvrez !
— Pas sans savoir ce que vous me voulez.
Je continue à frotter la porte d’entrée avec l’ustensile pour faire croire que je me tiens tout contre.
Il y a un silence. Et, soudain, je souris en constatant que mon vieux flair est toujours de première qualité.
Une fameuse seringuée secoue la porte. Un essaim de balles pénètre dans le vestibule et va secouer une potiche pseudo-chinoise qui trônait sur une console. La console aussi est chouravée. Aucune importance, elle était aussi tartouze que la potiche !
Je pousse un cri terrible. Puis, je me mets à geindre.
Ça parlemente derrière la lourde. Puis une nouvelle giclée décarre, mais celle-ci est destinée à la serrure. Il y a bientôt un trou comme mon poing à la place de cette dernière.
Les flics poussent la lourde.
Ils s’attendent à trouver mon cadavre sur le tapis.
Je ne leur laisse pas le temps de revenir de leur stupeur. Vite fait sur le gaz, je farcis le mec à la Sten. Il bloque une valda dans la bouche. Celle-là, il n’est pas près de l’avaler. Il lâche son moulin à café et reste debout, l’air éperdument gland. A se demander s’il est vivant ou non.
Je fonce dans le tas sans attendre, car je viens de réaliser que Grane et son autre acolyte n’ont pas d’arme au poing. Je les bouscule sauvagement. Un coup de saton dans les valseuses de l’autre flic et il appelle sa mère à la rescousse. Je me retrouve nez à nez avec Grane. Il porte la main à son holster.
— Touche pas ça, fumier ! je dis. Tu vas y passer et ça me fera un plaisir fou. Ah ! tu m’as bien eu, avec tes manigances.
Je lève mon pétard, mais je me ravise.
Au lieu de lui tirer dans le battant, je lui tire dans une flûte. La canne brisée, il tombe. Un coup de pompe dans le portrait et me voilà libre pour quelques secondes.
Tout ça s’est déroulé en moins d’une minute. Je suis déjà dans l’ascenseur au moment où le branle-bas commence dans le building.
Vous dites que j’ai de la pulpe de pamplemousse dans les biscotos, les mecs ?
Cet ascenseur va vite, mais pas aussi vite que je le souhaite. Mon rêve, à l’instant même, ce serait un tapis volant avec tout le confort. Seulement, nous ne sommes pas en Orient !
Enfin, voici le hall. Je le traverse en galopant.
Voici le grand air !
Et voici, tournant la rue, une vache Delahaye munie d’un macaron. Je bondis. Un type d’une quarantaine d’années, assez corpulent, un peu chauve, esquisse un mouvement de parade.
— Ayez pas peur, dis-je. Je suis le commissaire San-Antonio. Vous arrivez à point, comme un pot d’eau fraîche près d’une bouteille de pastis !
En somme, dis-je, une fois dans le consulat, ici, je suis en territoire français ?
— Oui.
— Câblez à Paris, ils vous donneront des instructions sur mon rapatriement. Merci pour votre aide ; sans vous, je serais truffé de plomb à l’heure présente. Je peux téléphoner ?
— Oui, bien sûr.
— Ou plutôt, non, téléphonez pour moi. Vous avez entendu parler de Maresco ?
— On ne parle que de lui, ici.
— Voulez-vous le convoquer d’urgence ?
— Le convoquer ?
— Oui. Dites-lui qu’il vienne en personne pour avoir un entretien de la plus haute importance.
— Parfait.
Ce qu’il y a de bien avec Pralot (le consul d’ici porte ce blaze), c’est qu’il est docile. Je lui demanderais de faire les pieds au mur qu’il me demanderait seulement s’il peut conserver ses gants.
Toujours égal à lui-même, Maresco. Sobre, élégant, parfumé, sévère et cordial.
— Je voudrais vous parler seul à seul, lui dis-je.
Le consul, que j’ai affranchi, se retire. Maresco n’a pas eu un geste de surprise en m’apercevant. Il m’a salué très gentiment, avec comme de la déférence.
— Alors ? demande-t-il.
— Ecoutez, fais-je, je commence par m’excuser pour la façon dont j’ai faussé compagnie à mes anges gardiens, mais je ne peux pas travailler avec des types sur mon dos. Une enquête, c’est comme l’amour, ça se fait sans témoins.
Il sourit d’un air de dire : bagatelle !
— Ce qui importe, pour vous, lui dis-je, ce sont des résultats. Eh bien ! soyez heureux, j’ai votre tueur !
Il a un frémissement.
— Est-ce bien vrai ? dit-il très vite.
— Oui. C’est le lieutenant Grane.
— Allons donc !
— Si. Ce type doit aimer le pognon. C’est lui qui s’interpose entre les livreuses de noir et vous. Personne n’a jamais pu fournir de détail sur le tueur parce que c’est un flic. Ses coups, il les a faits en uniforme. Les filles ne lui résistaient pas et personne ne le remarquait. Pourquoi les tuait-il ? Parce que, justement, il raflait la drogue en étant en uniforme. Ce qui constituait sa sécurité constituait aussi sa perte, s’il faisait grâce aux filles. C’est un combinard. J’ai compris qu’il était combinard lorsqu’il m’a avoué m’avoir fait venir de France pour me donner en pâture à la presse. Il a tissé ça contre vous de longue date. Il ne pouvait rien d’autre que ces coups dans l’ombre, car vous êtes un monument !
« C’est lui qui a dû corrompre le mec qui vous a fauché le carnet. Un jour, il a mis accidentellement le pif dans votre affaire de stups et ça l’a intéressé comme un chien qui renifle un gigot. »
Maresco m’écoute religieusement. N’était l’éclat de ses yeux, je pourrais penser qu’il gamberge à autre chose.
— Continuez, fait-il.
— Une de vos gonzesses a été dessoudée cette noye, hein ?
— Oui.
— Elle l’a été avec un pétard français de 7,65 mm ?
— C’est vrai.
— Ce pétard est à moi. Grane me l’a échangé l’autre nuit contre le sien. Quand il a su que j’avais calté d’ici, il s’en est servi pour renforcer la légende du tueur français. Rappelez vos souvenirs, Maresco. Il a bien dû, au début de l’affaire, vous montrer les papiers écrits par vous ?
— C’est exact ! fait Maresco, frappé par une évidence.
— Ben ! voyons… De la sorte, il savait qu’on étoufferait l’affaire grâce à vous. C’est un fortiche. Vous étiez sa victime et son protecteur. Il a pour assistante une petite garce qui est plus rouée que le diable. Elle a commencé par me vamper. C’est chez elle que je suis allé me planquer, comme un crétin, au petit jour. Je me fourrais ainsi sans le savoir dans la gueule du loup.
Je lui raconte le coup de tube de Cecilia, m’annonçant l’arrivée de Grane qu’il fallait laisser entrer.
— Il venait me flinguer comme un lapin, conclus-je, car, n’étant pas parti, je pouvais témoigner au sujet du pétard échangé et le mettre un peu trop en lumière. Mais j’étais sur mes gardes et ça a raté. Par exemple, j’ai descendu un flic. Ça fait trois viandes froides à mon actif. Alors, Maresco, on va faire un marché : vous amortissez la casse pour moi, tout rentre dans l’ordre. Et vous, vous vous expliquez gentiment avec Grane. J’aurais pu le crever, tout à l’heure, mais je ne l’ai pas fait… j’ai pensé que vous aimeriez… lui parler.
— Vous avez bien fait, me complimente Maresco. Soyez sans inquiétude pour vos petites frasques, j’arrangerai ça.
— En revanche, moi, je ne me souviens plus avoir trouvé de l’opium en cherchant un meurtrier.
Il sort son portefeuille.
— Voilà le restant de vos dix mille dollars, ainsi que vos papiers.
— Comment ! m’écrié-je, vous les avez apportés ici !
— La preuve.
— Vous pensiez me rencontrer ?
— Je ne pensais pas, je savais vous rencontrer ici. De même que je savais que vous vous débarrasseriez de Dick et Jo : c’est du reste la raison pour laquelle j’ai attaché un troisième type à vos semelles. Et lui ne vous a pas perdu de vue.
Il me tend la main.
— Le bonjour à l’Europe !